Gaia est le continent où une nouvelle vie a commencée pour moi. Gaia est le continent mère de tous les autres continents sur Atlas, le seul monde où l’on peut vivre dans ma galaxie. Mon père, Alban Daudra, était un médecin réputé et un passionné d’herbologie. J’avais dix-sept ans quand il nous proposa, à mon frère Alec et à moi de partir pour ses recherches et d’établir domicile à Ménaka, petite bourgade de Gaia. Je n’avais jamais quitté Amena, la capitale d’Orega. Orega était le continent des « gens civilisés », le continent de l’élite intellectuelle, à l’opposé de Gaia qui était celui des « sauvages », mon idiot de frère les appelait « les petits nègres ». Mathis, mon meilleur ami et également le garçon dont j’étais folle depuis mes onze ans, méprisait Alec qui suivait l’avis de nos dirigeants qui tentaient de nous faire croire qu’il n’y avait pas d’égalité à partager avec le peuple de Gaia. Quand j’avais expliqué la proposition de mon père à mon meilleur ami, j’ai vu ses grands yeux saphir pétiller. Il a posé ses mains sur mes épaules et un instant, j’ai cru qu’il allait me secouer comme un prunier. Il m’a juste fixée avant de me dire:
- Valia, si tu n’y vas pas, je te tue! Tu vas vivre l’expérience de ta vie! Tu t’en souviendras pour toujours! Je suis tellement jaloux! Tu devras m’envoyer pleins de lettres bien sûr! Tout me raconter!
A dix-neuf ans, Mathis était un aventurier, il avait décidé de transformer la société pour la rendre meilleure. Pour moi, il était un idéaliste mais je le connaissais assez bien pour savoir qu’il maitrisait son sujet et qu’en tant que futur avocat, il allait se battre corps et âme pour sa cause : l’égalité. Tout en lui respirait la confiance, la force et l’humilité. Je me sentais si petite quand nous nous promenions côte à côte dans les rues bruyantes et remplies de vie d’Amena. De temps à autre nos bras se frôlaient et je glissais timidement ma main dans la sienne, il refermait avec une douceur extrême ses doigts sur ma paume qui me semblait si petite dans ses moments. Il rayonnait et avait le pouvoir de me faire connaître le meilleur de chaque chose. C’est pourquoi, dès qu’il eut fini de s’exprimer, je savais quoi répondre à mon père. Il fallait que je parte découvrir le monde, voir comment il tournait, ce qui était juste.
Une semaine après ma décision, nous partions tous les trois vers l’inconnu. Nous avions eu du mal à convaincre Alec, mais mon père lui avait fait miroiter les charmes de cette terre ancestrale. J’abandonnai alors mon monde pour un autre. Notre petite famille et une trentaine d’autres explorateurs, voyageurs, exilés, voguèrent durant près de deux mois sur le trois-mâts: La Bête. Les premiers jours, je revoyais ma ville natale s’éloigner, j’entendais encore le bruit sourd des klaxons et des pétarades des calèches qui défilaient du petit matin jusqu’au soir sur le boulevard de la Mouette qui se trouvait sous mes fenêtres. Je sentais encore l’odeur de notre petit jardin embaumant la rose. Ma peau ressentait encore les touches d’ivoire du grand piano à queue du salon. Mon cœur se brisait quand il se tournait vers Mathis que je ne reverrais pas avant de nombreuses années, mais il exultait à l’appel au voyage qui retentissait dans mes veines.
Puis le troisième jour en mer, je suis tombée malade. Je n’étais définitivement pas habituée aux ballotements perpétuels d’un bateau, ni à la chaleur du soleil de plomb qui se réverbérait sur la mer houleuse, ni à cette bouillie infâme qu’on nous servait à bord. J’ai alors passé ce que j’ai longtemps appelé « les pires douze jours de ma vie ». Mon esprit avait été happé dans une brume qui empestait le poisson et j’appelai à chaque instant mon père, ayant peur qu’il m’oublie. A la fin de ces douze jours, j’ai pu remonter sur le pont de La Bête. J’ai laissé ma mémoire s’imprégner de cette étendue d’un bleu profond qui était soudainement devenue calme. Mon imagination voguait sur cette mer d’huile, inventant des pirates, des femmes aux cheveux crépus, aux colliers de fleurs, au parfum exotique. J’avais envie de capturer chaque nouvelle vision dans mon esprit, les îles, le ciel, les oiseaux et parfois, les récifs coralliens qui perçaient dans l’eau claire. Je voulais pouvoir raconter chaque détail, même les plus insignifiants, dans de grandes lettres que j’écrirais à Mathis.
Quand nous sommes arrivés à Ménaka, j’avais perdu les rondeurs qui me restaient de l’enfance, ma peau était rougie par le voyage et mes longs cheveux blonds normalement si brillants avaient perdu tout leur éclat et tombaient comme de la paille, je maudissais le sel. Un homme habillé tout de blanc, une canne à la main, nous attendait. Il nous a arrêté en levant sa canne, le sourire aussi large que sa bedaine et s’est exclamé d’une voix rocailleuse:
« Famille Daudra? Bien! Je suis Madhras, le maire de Ménaka! Je tenais à vous accueillir per-son-nel-le-ment! Mon chauffeur Sambo va nous mener chez vous! Si vous avez le moindre problème, ou si la jeune demoiselle à besoin d’une escorte… Enfin vous suivez mon idée! Demandez-moi tout ce que vous voulez! »
Madhras martelait ses mots comme si sa bouche était une mitraillette. Le maire continua son babillage durant tout le trajet en auto. Ma tête me faisait souffrir tant il parlait. Je tentais d’observer les maisons alentours et les gens. Je remarquai d’abord les petites cases de paille et d’argile mais plus on se rapprochait de centre, plus ces maisonnettes disparaissaient pour laisser place à de colossales masures de béton aux couleurs froides. La calèche s’arrêta devant une large bâtisse toute blanche, je réprimais une grimace. Nous sommes sortis, le chauffeur a ouvert le coffre, s’est emparé de mes valises et les a donné à un autre homme qui attendait devant la maison. Madhras nous montra le chemin. Je suis entrée dans la chambre qui allait être la mienne, l’homme qui portait mes affaires me suivait, il posa mes bagages. Je me tournai vers lui, il était très grand, sa peau couleur ébène brillait, sûrement à cause de la chaleur et de son habit de travail non-adéquat pour le temps. L’homme tourna les talons, prêt à partir, je le retins:
- Attendez, s’il vous plait!
- Que puis-je pour vous, Mademoiselle?
- Comment vous appelez vous? Demandais-je.
J’ai vu sa mâchoire se décrocher, ses yeux s’agrandir.
- Je…
- Excusez-moi… Je ne voulais pas vous gêner!
- Non… C’est juste que… On ne me demande pas souvent ça… Moi c’est Camel.
- Eh ! bien ! Merci, Camel ! J’essayai de sembler chaleureuse malgré ma fatigue due au voyage.
Son visage s’illumina, et un instant, je crus revoir Mathis, le même sourire et la même expression pleine d’intelligence et de bonté. Camel sortit. Mon cœur me paraissait soudain plus léger, l’homme avait l’air si heureux que cela en était peut-être contagieux. Sa vision fut rapidement remplacée par celle de mon frère. Alec arborait son air supérieur et une moue dégoutée.
- Tu es idiote. Tu crois que tu peux t’adresser à quelqu’un comme lui, comme ça? Il va croire qu’il est normal!
Je me contentais d’hausser les épaules, il était toujours exécrable, c’était sa façon d’être. Alec se fatigua rapidement d’attendre une réponse et se dirigea vers sa chambre. Je l’observai s’éloigner avec une mine de dégoût. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais mon frère me paraissait comme un étranger et son attitude m’était si odieuse que j’en avais conclus que c’était sûrement notre mère qui l’avait élevé ainsi et que j’avais échappé à la forme d’idiotie la plus répandue et la plus dangereuse.
Après avoir déballé mes affaires, je me fis couler un bain pour me rincer de cette crasse du voyage. J’entrais avec délice dans l’eau tiède et parfumée. Mon corps rêvait de ce moment depuis le premier jour sur le bateau. Je savourais les plaisirs d’un repos sans les roulis de La Bête, quand une voix se fit entendre :
- Mademoiselle? Excusez-moi… Vous êtes là?
Je me redressai brusquement et sortie en me couvrant d’un peignoir. Je me faufilai vers ma chambre. Une jeune femme se tenait à l’embrasure de la porte. Elle semblait encore plus embarrassée que moi. Ce qui me frappa fut sa beauté hors du commun. Sa peau, aussi sombre que l’âme du diable, me paraissait d’une texture plus douce que la soie. Ses lèvres pulpeuses appelaient à l’amour tout comme son visage en forme de cœur. Elle avait un corps sublime et je dus faire un effort pour ne pas hurler de jalousie.
- Bonjour, que puis-je pour vous? L’interrogeais-je.
- Je suis Rose, mademoiselle. Je suis à votre service. Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
- Ce dont j’ai besoin… Du calme pour l’instant… Je pensais me reposer un peu avant de visiter les environs, qu’en pensez-vous?
- Je n’en pense rien, mademoiselle. Vous ordonnez, j’obéis.
Rose semblait confuse et vouloir ajouter quelque chose, mais devait sentir que j’étais exténuée. Elle remonta ses longues tresses en une queue de cheval et s’assit sur le rocking-chair, près de mon large lit. Je m’allongeai, légèrement gênée qu’elle me surveille en train de dormir. J’étais embarrassée d’avoir quelqu’un à côté de moi durant mon sommeil. C’était pourtant une chaleur rassurante dans cet ailleurs inconnu. Je n’étais pas de nature paresseuse mais l’appel de ce matelas moelleux et de ces draps frais qui sentaient la vanille, m’envoya dans les bras de Morphée. Mes rêves furent peuplés de femmes aux boubous colorés, d’hommes musclés à la peau d’un noir magnifique, aux voix profondes qui résonnaient dans une langue tribale que je ne comprenais pas. Je me voyais traversant le port, entrant dans le village à l’extérieur de Ménaka. Un bal de couleurs et d’odeurs s’installait dans mon imagination. C’est pourquoi, lorsque je me suis réveillée, j’ai regardé Rose et je lui ai demandé de m’attendre quelques instants, le temps que j’enfile une tenue confortable pour marcher. Elle avait l’air perplexe, mais ne m’a pas contredit. J’ai ouvert une de mes valises et ai tiré un pantalon en toile beige ainsi qu’une chemise à fleurs, à ce moment, j’ai remarqué les yeux de Rose, rivés sur mes affaires. On aurait dit qu’elle venait de voir la caverne d’Ali Baba.
- Il y a quelque chose qui te plaît, l’interrogeais-je. Tu peux le prendre, j’ai trop d’affaires !
- Non, Mademoiselle ! Je n’oserai pas !
Rose recula légèrement et malgré a couleur de peau foncée, je vis ses joues rosir. Je passai derrière le paravent pour me changer, quand je réapparus, j’ai senti son regard sur moi, comme elle avait dû sentir le mien quand je l’ai vu pour la première fois. Plus tard, elle m’avait avoué qu’elle m’avait alors trouvé exotique, avec mes cheveux blonds, ma peau de porcelaine et mes habits « à la mode d’Amena ». Nous descendîmes dans un silence presque religieux, aucune de nous deux n’osait commencer la conversation. J’étais follement nerveuse devant cette jeune femme si belle, elle n’avait pas l’habitude de parler avec les gens d’Orega.
A peine avions nous atteint les rues de Ménaka qu’une adolescente nous aborda. Elle n’était pas très grande mais semblait plus âgée que moi. Elle tenait une ombrelle, sûrement ne voulait-elle pas que sa peau fonce.
- Valia Daudra ? son sourire remontait jusqu’à ces pommettes couvertes de taches de rousseur. Je m’appelle Marianne ! Je suis la nièce de Madhras ! Mon oncle m’a demandé de te montrer la ville !
- Merci mais… Nous allions vers le port.
- Au port ?! Mais quelle idée saugrenue ! Ne t’aventure chez les sauvages, c’est de la folie ! Viens, je vais te montrer les boutiques ! Tout est importé d’Amena !
- Non, merci ! Rose et moi avons d’autres projets !
Je m’éloignais sans attendre de réponse, sa maladresse à propos des gens du port m’avait profondément exaspérée et j’imaginais que cela devait être pire pour Rose. Je marchais d’un pas décidé à travers les rues cruellement froides et sans vie du centre-ville. Je ne savais pas où j’allais mais j’imaginais que je finirais par trouver la mer. Nous avons longtemps déambulé dans ces rues inconnues, Rose n’osait sûrement pas me diriger mais en tournant au hasard, nous avons enfin débouché sur le village. Mon cœur a bondi dans ma poitrine, c’était différent de mon rêve mais tellement plus réel. Il y avait quelque chose de bouillonnant de vie : les enfants qui couraient de cases en cases, les femmes transportant des paquets de linge sur leur tête, un homme, allongé dans un hamac, faisant la sieste. Je n’en revenais pas, tout était parfait. Pourtant, au moment où on a remarqué ma présence, ce petit monde s’est arrêté de tourné. Tout s’était glacé en un clin d’œil. Rose me prit fermement par le bras et me tira pour m’emmener vers le port. Je sentis un souffle étrange dans mon dos, je n’aurai su le décrire. Je revoyais seulement le visage de cette femme, tenant son enfant dans ses bras, tout contre son cœur. Elle avait une expression si complexe que je ne pouvais vraiment déchiffrer, mais j’y ai trouvé de la consternation, de la peur et du mépris mêlés. C’était une véritable douche froide pour moi, une désillusion. Si la plupart des Oreganais étaient racistes, on voyait que cette haine était réciproque, même pour des personnes inconnues. Nous sommes arrivés devant l’Océan, mais mon cœur était plus lourd qu’une pierre, toute l’euphorie qui m’emplissait avait fui.
- Ce n’est pas votre faute, Mademoiselle, avança Rose. On n’est juste pas habitué à vous voir dans nos quartiers !
- Rose, quel âge as-tu ?
- Dix-neuf ans.
Ma question la rendait perplexe. Je voyais son regard, chercher sur mon visage ce que cachait cette interrogation.
- J’en ai dix-sept. Nous n’avons que deux ans d’écart et je ne connais personne ici. S’il te plaît, appelle-moi Valia et tutoie-moi. J’ai besoin d’une amie ici, et j’aimerais que ce soit toi.
Elle ne répondit pas, je voyais qu’elle ne savait pas quoi dire. Je fermai alors les yeux, sentant la brise fraiche sur ma peau. La nuit pointait enfin, apportant une douceur apaisante. Le bruit de la mer, caressant le ponton en bois du port, m’apportait des nouvelles d’Orega. Je voyais le lien entre ici et là-bas. Ces douze jours de voyage. Ces heures et ces vagues, se fracassant d’un côté comme de l’autre, ignorant la couleur des habitants du rivage, l’odeur des plantations, la pollution ou encore les innovations technologiques que la population avait mis en place ou non. Je voyais qu’ici ou là-bas, je restais Valia. Rose brisa le silence qui régnait :
- Valia, nous devrions rentrer, ton père va s’inquiéter.
J’avais alors acquiescé, j’avais pourtant le cœur lourd de quitter cette immensité pour regagner le centre-ville si laid et si vide de vie.
Nous avons traversé Ménaka. La ville était sombre, je distinguais des ombres qui se découpaient à la pâle lumière des lampadaires. On entendait pourtant seulement l’écho de nos pas sur le pavé, le cliquetis de nos talons sur la pierre. Tout était silencieux, c’était une atmosphère indescriptible et angoissante. Quand nous sommes arrivés devant le perron de ma nouvelle maison, Rose s’est arrêtée, elle devait elle aussi retourner dans son foyer. J’ai tendu la main vers elle, elle recula d’abord, puis comprit mon intention et enroula ses doigts autours des miens. Je desserrais doucement mon étreinte pour la laisser s’éloigner. Son ombre rétrécissait et mes yeux ne perçurent bientôt plus rien. La nuit me semblait bien trop calme, silencieuse et trompeuse. J’imaginais ces hommes seuls dans les maisons toutes blanches qui devaient profiter de la couverture nocturne pour goûter à la douceur d’une magnifique femme exotique, au parfum de vanille. Je pensais aussi aux filles comme Marianne, la nièce de Madhras, qui écrivaient dans leur petit journal à quel point elles haïssaient vivre « dans ce pays de sauvages ». J’ai alors secoué la tête et me suis tournée vers la lourde porte en bois que j’allais devoir passer tous les soirs, seule, perdue dans mes pensées et espérant un miracle qui changerait le système de cette société.
Le lendemain, le jour d’après et tous les jours suivants durant un an, Rose et moi nous sommes promenées près du port. Peu à peu j’ai remarqué que le regard des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards et des marins s’est transformé. Je n’étais plus une étrangère. A leurs yeux, j’étais Valia, l’amie de Rose. La fille aux cheveux dorés. Pour moi, ils étaient les représentants de la vie dans cette ville. Le peuple grouillant d’énergie. Les familles dont les malheurs étaient aussi grands que chez les riches. Rose me montrait tout ce qu’elle savait, le tissage, les belles fleurs aux senteurs exquises, comment tresser mes cheveux. Je lui apprenais la lecture et l’écriture. Pour ces deux dernières activités, quelques enfants se joignaient à nous. Nous nous asseyions sur les galets de la plage, à quelques mètres du port et nous parlions, lisions, nous oubliions le monde sur lequel nous vivions.
Un jour, une vieille femme est venue à notre rencontre. Elle était grande, avait la peau la plus foncée que j’aie jamais vue et un sourire mystique que je ne suis jamais parvenue à décrypter, pourtant c’était une de mes qualités, décrypter.
- Mamita, c’est mon amie, Valia. Valia, c’est ma grand-mère, la matriarche du village. C’est notre guide, m’expliqua Rose.
- Valia ! La vaillante !sa voix puissante semblait portée par l’eau et le vent, se répercutant sur chaque galet et même chaque grain de sable. Chère enfant, c’est un soleil changeant qui veille sur toi. Ton destin est mêlée à celui d’un homme, les étoiles vous ramènent toujours l’un vers l’autre. Pourtant, il y a aussi beaucoup d’ombre qu’une nébuleuse bouleversera.
- Mamita ! s’exclama mon amie. Il faut que tu partes, maintenant. Excuse-là, elle se met un point honneur à prédire l’avenir de chacun.
- Ce n’est pas grave ! m’exclamais-je. Et puis toute cette histoire de destinée me permet de penser à Mathis…
- Ah ! Mathis ! s’exclama Rose. Toujours et encore Mathis ! Y aura-t-il u jour un autre homme dans ta vie Valia ?
- Je ne pense pas. Il est… je ne savais pas comment conclure mais mon amie avait compris.
- Il est Mathis ! L’unique !
Cette conversation revenait inlassablement, nous étions deux jeunes filles en fleurs, allongées sur la plage, discutant de nos amours. Il nous arrivait de nous sentir presque normales, puis le soleil rougeoyant finissait sa course, caressant de ses doux rayons, les lointaines vaguelettes que nous apercevions au large. C’était notre signal. Je repartais dans le centre-ville, Rose faisait ce qu’elle devait faire.
Quand je suis montée dans ma chambre le soir de ma rencontre avec Mamita, j’ai repensé à la façon dont cette femme avait exposé sa prédiction. Elle n’avait pas parlé de ma famille. C’était peut-être parce qu’ils étaient des fantômes depuis notre arrivée à Ménaka, ou c’était l’inverse, c’était peut-être moi la présence presque immatérielle dans cette maison si blanche. J’ai posé ma paume sur le mur de ma chambre. Ma carnation s’accordait parfaitement à la couleur du revêtement. Quand j’ai décollé ma main du mur, j’ai découvert une marque noire, le contour de mes doigts. J’ai contemplé cette trace durant de nombreuses minutes.
- Que fais-tu ? mon père se tenait à l’embrasure de ma porte, il n’attendit pas ma réponse et me tendit une enveloppe. Tiens, c’est arrivé pendant que tu vagabondais. Je la pose sur ton bureau, mon père s’exécuta et disparut.
Je décrochais mon regard du mur et pris possession de la lettre. Elle provenait de Amena. C’était Mathis. Il m’envoyait des nouvelles d’Orega, de ses nouvelles, comme chaque mois depuis mon départ. Je m’assis sur mon lit, excitée de savoir quel progrès on avait fit à la capitale pour supprimer la ségrégation. Mathis avait rejoint un réseau de militants pour les droits de l’homme. Leur leader, Constant Duroy, un homme trentenaire, avait déjà réuni tous les grands hommes d’Orega autours d’une table pour discuter mais les négociations ne menaient à rien. Depuis plusieurs mois, Mathis me parlait d’émeutes, de marches, de discours enflammés. Il me semblait entendre sa voix exaltée dans chacun de ses mots. Le monde était enfin entré dans l’ère de changement à laquelle il avait toujours aspiré. Ici, on ne voyait pourtant pas les changements qui s’opéraient dans les grandes villes d’Orega.
Dans cette lettre Mathis me parlait d’une victoire, il me semblait survolté. Je voyais bien qu’il l’avait écrit à la hâte, ça me décevait un peu. Un mois pour quatre lignes et un petit je t’aime. Pas de description de toute l’émulation autours d’une future loi promise, d’une nouvelle constitution éventuelle. Non. Seulement quelques mots sur un rassemblement qui avait changé de nombreux avis. Je me suis allongée, relisant tout de même les quelques mots. En un an et demi, Orega semblait se transformer. Tout allait si vite que cela me donnait le tournis. Ces changements me paraissaient immatériels, je ne pouvais pas les voir et pourtant ils existaient. Dans quelques années, Amena ne serait plus la même. Je m’endormis en rêvant de cette grande ville en pleine métamorphose.
Le temps de la sécheresse était arrivé, la chaleur devenait insoutenable. Rose et moi allions tous les jours à la plage, tremper nos jambes dans l’eau fraiche. Les vagues léchaient lentement nos mollets. Nous étions dans un monde à part. Nous parlions de tout, mais surtout nous imaginions comment notre vie serait dans un monde sans ségrégation.
- La vie serait bien plus simple, souriait Rose. J’aurais appris à lire depuis bien plus longtemps ! Je serais devenue bibliothécaire. J’aurais pu me marier avec n’importe qui, vivre où bon me semble, parler à tout le monde…
- C’est encore possible, avais-je alors répondu. Bientôt, on pourra aller à Orega ! Tu viendras avec moi. Tout change là-bas ! Tu pourras être bibliothécaire et rencontrer l’homme de tes rêves !
- Plus maintenant, avait-elle rétorqué amèrement.
Je n’avais pas saisi la gravité de ce qu’elle avait tenté de me révéler. Je m’étais juste contenté d’argumenter : elle avait toujours une chance selon moi, elle pouvait toujours accomplir ses rêves.
- Valia, tu ne sais pas dans quel monde je vis ! Tu as l’impression d’en faire partie mais tu ne sais rien de ce qui se passe quand tu n’es pas là ! Qui vient me chercher le soir, ce que j’entends, ce qu’on me fait… Je ne peux pas faire machine arrière. Toutes ces choses qui se passent depuis mes treize ans, je ne peux pas les ignorer ! Ça me donne envie de tuer tous ces hommes blancs si vaniteux et fier d’eux ! De leur faire payer tout ce qu’ils nous font à nous, les femmes qu’on soit noire ou blanche. Tu crois que ton Mathis t’attend sagement ? Qu’il reste fidèle ?
La violence de ces propos me frappa de plein fouet. Je n’avais jamais vu cette rage en Rose. Cette haine profonde avait jaillit comme la lave sort du volcan, brûlante, rapide et destructrice. Je me suis levée, les larmes aux yeux. Je savais que j’avais eu une vie facile par rapport à tous ces enfants du village mais que Rose me considère comme une étrangère à son monde me faisait mal. Je n’appartenais ni au monde de mon frère et de mon père, ni à celui de Rose. J’étais toute seule sur un radeau qui dérivait de plus en plus loin de ces deux mondes.
- Excuse-moi, soufflais-je.
- Non, Valia, ce n’est pas des excuses que je cherche. Ce n’est pas ta faute ! J’ai juste quelque chose qu’il faut que je t’avoue. Ça ne se voit pas, je le cache mais je suis enceinte et pas d’un homme que j’aime, non. J’aurai bientôt un enfant… J’ai besoin de ton aide.
- Que veux-tu que je fasse ?
- Ne t’inquiète pas pour moi. Mais on m’a demandé de ne plus t’approcher. Promets-moi de ne pas venir me voir sauf si je te le demande.
- Mais…
- Promets !
- Promis.
- Bien, maintenant, tu vas rentrer chez toi et ne t’occupes pas du reste.
- Tu as dit que tu avais besoin de moi, insistais-je.
- J’ai besoin que tu comprennes que tu es mon amie mais que ta famille ne veut plus qu’on se voie. Que tu comprennes que ce n’est pas moi qui ne veux pas de toi.
- Je ne comprends rien.
- Tu comprendras bien assez tôt.
Rose se leva en soupirant. Je l’observais s’éloigner, un poids sur le cœur. Je me rassis avec une envie presque irrésistible d’hurler. Pourquoi cet univers était aussi pourri ?! Pourquoi ma famille me séparait de ma seule amie ? Je ne me rappelle plus comment j’ai réussi à rentrer jusqu’à chez moi, mais quand j’ai passé la lourde porte en bois, mon père m’a appelée dans son bureau. J’ai traversé le salon et me suis plantée devant papa.
- Tu m’as appelée ?
- Oui, assieds-toi, ma chérie, me proposa-t-il.
- Je préfère rester debout.
- Bien… Ecoute ma chérie, je sais que vivre ici n’est pas facile pour toi et que tu sens que tu peux vagabonder et te rebeller en traînant avec le petit peuple mais les gens commencent à parler et ton frère m’a fait comprendre qu’il valait mieux que tu ne voies plus Rose.
- C’est donc ça, murmurais-je. Papa, tu ne peux pas m’empêcher de voir mes amis.
- Ce ne sont pas tes amis, ils nous sont inférieurs. Alec se tenait sur le pas de la porte.
- C’est pour ça que tu utilises ces femmes pour tes bons plaisirs ? lançais-je, soudain hargneuse. Si tu crois que je ne sais pas ce que tu fais tous les soirs ! Tu me dégoûtes !
- C’est Rose qui te dit des choses pareilles ? répliqua-t-il. Ce n’est qu’une putain.
- Non, j’avais juste besoin d’une confirmation ! Papa, si Alec ne veut pas que je vois Rose c’est parce que…
- Je sais Valia. Je suis au courant. Il n’empêche que tu ne verras plus cette Rose. Et tu resteras dans cette maison sous bonne surveillance.
- Mais…
- Vas dans ta chambre, m’ordonna-t-il.
Je me mordis la langue pour ne pas hurler, un flot de sang envahit ma bouche et la douleur me fit tressaillir mais je tournai les talons dignement. Quand je passai devant Alec, je sentis un effluve d’alcool et d’opium, nos regards se croisèrent et m’adressant à lui je prononçai :
- Je n’ai jamais eu aussi honte d’être ta sœur, tu n’es qu’un…
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que mon frère m’avait attrapée par les cheveux et me projeta au sol.
- Ça t’apprendra à parler ainsi, idiote ! hurla-t-il.
- Valia, monte dans ta chambre. Alec, nous devons aussi parler des conséquences de tes actes.
- Papa, tu sais bien qu’il n’y aura aucune conséquence !
- Tu es saoule, tu ne sais pas ce que tu fais.
La conversation devenait de plus en plus indistincte à mesure que je montais les marches du grand escalier. Ma tête avait heurté le sol en pierre et était douloureuse. J’entrai dans ma salle de bain et m’assis sur le rebord de la baignoire. Tout se passait trop vite, j’aurais voulu suspendre le temps, avoir le temps de réfléchir. J’entendais mon père et Alec qui se battaient en bas. Des cris, des coups, je ne savais pas qui frappait qui ou quoi mais j’étais terrifiée. Mon frère poussait des hurlements dignes d’un animal. La voix grave de mon père se faisait menaçante. Les meubles tombaient, des verres se brisaient, la lutte continuait. Le calme finit par revenir. J’ai entendu mon frère claquer la porte. La maison était à nouveau silencieuse. Trop silencieuse. Je me précipitai jusqu’au bureau de mon père. La porte était fermée. Je voyais du sang sur le sol, une mare. Je me tournais vers la porte d’entrée et une vision d’horreur me souleva l’estomac. Sur le mur blanc, il y avait l’empreinte ensanglantée de mon frère. Une trace de main rouge, nette. Mon cœur s’arrêta un instant. Les larmes montèrent jusqu’à mes yeux, mon corps tremblait.
Je suis sortie dans la rue, mes jambes me portaient sans que je sache comment. Mon cœur saignait, mon esprit ne semblait plus attaché à ma chair. Je me suis enfin trouvée devant chez Madhras. J’ai sonné plusieurs fois avant qu’il ouvre la porte, il sembla d’abord mécontent d’être dérangé mais quand il remarqua l’expression qui avait pris racine dans mon âme et s’était fixée sur mon visage, il sortit pour me suivre. Je sentis soudain son bras sous le mien. Il me soutenait tant bien que mal. Quand nous fûmes dans le hall d’entrée, Madhras comprit. Il m’envoya dans ma chambre. Je m’affalais alors sur mon lit en sanglotant. Je me recroquevillai alors que j’entendais le cri de surprise et d’horreur du maire. Mon ventre se déchirait, ma douleur me coupait la respiration. Je n’aurai jamais cru que la perte de mon père qui était un fantôme pour moi depuis notre arrivée à Ménaka, me briserait à ce point.
Je suis restée alitée plusieurs mois, abêtie par des drogues pour éviter que je me rende compte de la réalité. Le médecin prescrivait du repos. Mon esprit vagabondait au-dessus de ce monde mais je savais que mon père était mort. Madhras m’a un jour expliqué qu’on l’avait enterré près de la jungle, c’était son sanctuaire. Je ne me souvenais pourtant pas de toutes ces visites, j’étais dans le brouillard le plus profond et je n’avais pas la moindre idée de comment m’en sortir. Alec avait disparu dans la nature, personne ne l’a retrouvé. Peut-être que personne ne l’a cherché, après tout, il était blanc, il avait tous les droit ici.
Dans ma chambre, je fixai la marque de ma main sur le mur blanc. Cela me rappelait celle de l’entrée. Sur ma table de chevet, une pile de lettre de Mathis commençait. Ce n’est que lorsque Rose vint me voir que je repris connexion avec mon monde. Elle se tenait debout devant moi, son regard était indescriptible, je sentais sa compassion m’entourer peu à peu, réchauffant mon âme engourdie. Elle tenait dans ses bras un nourrisson. Je souris doucement :
- Elle s’appelle Vanille, elle est née il y a trois semaines. Rose s’assit à mes côtés, me tendant sa fille.
- Elle est belle, elle tient de sa maman, murmurais-je.
- Et de sa tante aussi ! sourit mon amie. Ecoute-moi, Valia. Tout va bien se passer. Je vais t’aider à retrouver comment poser les pieds à terre ! On va traverser tout ça ensemble.
J’avais acquiescé et avais accepté la main qu’elle me tendait. Nous avons passé deux ans ensemble dans cette maison blanche dont nous changions les couleurs. Vanille était le centre de notre attention et nous vivions sans nous soucier du reste du monde. Mathis continuait à m’envoyer des nouvelles d’Orega. Tout avait changé, une révolution avait eu lieu durant mes mois de torpeur. Cela signifiait une nouvelle constitution, des nouveaux droits et des nouveaux codes. La vie semblait se transformer à la vitesse de l’éclair. Je n’osai pas le dire à Rose, mais je rêvais de rentrer à Amena, retrouver Mathis, découvrir la nouvelle société installée là-bas. Pourtant mon amie avait remarqué à quel point je devenais pensive après avoir lu les lettres en provenance d’Orega.
Un jour que je jouais avec Vanille, Rose me tendis deux billets. Je la regardais sans comprendre :
- C’est pour toi et Vanille. J’ai utilisé l’argent que ton père m’avait donné quand j’étais enceinte pour acheter ces billets. Vous partez pour Amena dans huit jours, le temps de dire au revoir.
- Mais et toi ?l’interrogeais-je.
- Ma vie est ici, pas la tienne. Tu pourras offrir à Vanille une vie tellement mieux là-bas. Elle n’est pas noire mais elle n’est pas blanche non plus. Tu dois la prendre avec toi.
- Tu es sa mère. Tu devrais venir avec nous, insistais-je.
- Valia, nous savons toutes les deux que je serais malheureuse à Amena, sans le soleil, mon village, le port et la plage.
- Mais…
- Tout ira bien. La pluie reviendra et tout recommencera ! Tu m’enverras des nouvelles et je serai heureuse. Valia, c’est un ordre, tu pars dans huit jours avec ta nièce.
Je me suis tue, j’ai reconnu le regard décidé de Rose. Je ne pouvais pas la faire changer d’avis.
Le jour du départ, quand le bateau s’est éloigné du port. Mon cœur se brisa une dernière fois. J’abandonnais la chaleur réconfortante de Rose, je lui prenais sa fille. Je la laissais et peu à peu, la femme sur le ponton se transformait en un point. Vanille pleurait dans mes bras, je la serrai contre ma poitrine. Je revoyais l’expression de mon amie au moment des adieux, la douleur se lisait sur son visage mais elle avait pris sa décision : rester à Ménaka.
Le voyage me parut beaucoup plus court et chargé de nuage. Il me semblait pourtant plus facile pour moi, j’avais quelqu’un qui m’attendait à l’autre bout de l’Océan. Je m’inquiétais du bien-être de Vanille. Etait-ce une bonne idée de l’embarquer dans cette aventure ? Aurais-je dû insister auprès de Rose ? Je regardais Vanille marcher sur le pont du bateau, elle arborait à présent un large sourire. Elle avait oublié sa mère, du moins en partie. Elle avait la peau étonnamment claire, des petits cheveux bruns crépus et de magnifiques yeux verts. Je ne voyais pas mon frère en elle. C’était un bambin enjoué au rire contagieux.
Le jour de notre arrivée, le capitaine vint nous chercher dans notre cabine pour nous prévenir. J’ai pris Vanille par la main pour l’amener à l’avant du trois-mâts. Nous apercevions Amena. Je sentais l’excitation monter en moi, une bouffée de jeunesse m’insuffla l’envie de trépigner comme ma nièce. Elle me posait soudain un tas de questions auxquelles je n’avais pas de réponses. Une fois l’ancre jetée, le bateau amarré, je pris Vanille dans mes bras, un marin nous suivait avec nos bagages. Dans la foule amassée sur le quai, je tentais d’apercevoir Mathis. Je lui avais envoyé une lettre pour lui annoncer notre retour, il ne devait pas être loin. Je m’engageais dans cette masse presque compacte de monde, cherchant désespérément mon meilleur ami.
- Mademoiselle, je crois que le jeune homme près de la grue vous fait signe, indiqua le marin.
Je tournais mon regard dans la direction que l’homme me désignait. Mathis se trouvait en effet à une centaine de mètres de nous. Il portait les mêmes habits que le jour de mon départ, moins de quatre ans auparavant. Je me trouvais enfin devant lui, son sourire pétillait jusque dans ses yeux verts :
- Je t’avais promis de ne pas changer, il riait doucement.
- Ça ne veut pas dire que tu ne dois pas te changer, plaisantais-je.
- En parlant de changement, tu vas voir ! Amena s’est transformé depuis tout ce temps ! Tu vas découvrir une toute nouvelle ville !
- Tant mieux ! Vanille et moi allons la découvrir ensemble !
- Ne m’oublie pas ! s’exclama Mathis. Je suis heureux que tu sois ici !
Il se pencha doucement, m’embrassant tendrement sur la joue. L’espace d’un instant, j’eus l’impression d’être revenue dans le passé. Le rire léger de Vanille me ramena pourtant à la réalité. Mathis nous amena jusqu’à sa calèche. Je vis les yeux de ma nièce s’écarquiller, il n’y avait pas d’aussi beaux véhicules à Ménaka. Moi non plus, je n’avais plus l’habitude de ces choses-là. Durant tout le trajet, Vanille nous interrogeait sur tout et n’importe quoi. Nous nous arrêtâmes devant mon ancienne maison. Mathis descendit et nous fit signe de le suivre. Un air embaumant la rose emplit mes poumons, je me rappelais soudain tous les moments que j’avais passé dans ce jardin, à cette fenêtre, penchée pour observer les piétons, les calèches, la vie d’Amena.
- Que faisons-nous là ? demandais-je.
- C’est notre chez nous, expliqua Mathis.
- Non, ça, c’était avant ! rétorquais-je.
- Quand tu es partie, ton père m’a laissé le soin de vendre la maison, je l’ai rachetée. Je ne pouvais pas perdre ce souvenir-là. Je pense qu’on sera heureux ici.
Je souris discrètement en passant le porche, ici ou là-bas, j’avais été heureuse mais ici j’avais Mathis et Vanille, cette maison remplie de souvenirs joyeux et beaucoup d’amour. Ce soir-là, quand Vanille fut couchée, je m’assis à côté de Mathis et toute la nuit, nous discutèrent de notre futur ensemble. Comment Vanille, pourrait étudier dans la même école où nous nous étions rencontrés. Comment nous pourrions nous marier, avoir d’autres enfants. Vivre notre vie comme nous le souhaitions.
Plus tard j’ai envoyé des lettres à Rose pour lui raconter notre voyage, Mamita fut celle qui répondit. Mon amie s’était éteinte peu après notre départ. Elle se savait rongée d’une maladie incurable et avait voulu nous éloigner. Quand je pense à elle, c’est avec beaucoup de chagrin et d’amour mêlés. Elle représente l’amour maternel et sororal. Quand je pense à elle, je me souviens de la plage, des galets, du soleil chaud. Quand je pense à elle, je sais que j’ai une bonne étoile qui m’a mené à elle. Chaque jour je me promène avec Vanille et Mathis, nous prenons le tramway, remontons jusqu’au port et à cet instant, je sais que nous sommes toujours liées par cet océan, malgré sa mort. J’étais partie pleine d’excitation, ma soif de découverte épanchée, je suis rentrée avec un bonheur parfois nostalgique. Ma vie n’avait pas été celle que j’avais imaginée, mais elle a été guidée par les étoiles que Mamita avait évoquées.
Chaque soir, j’ai ouvert la fenêtre de ma chambre et respiré cet air chargé du parfum des roses. Avec Vanille sur les genoux, nous écoutions les récits de Mathis sur la fin de la ségrégation, sur la révolution.